GTi m’a tuée

 

 

Pauvre petite Murena ! Arrivée bien trop tard dans une famille dont les parents, en instance de divorce, ne voulaient plus d’elle, elle a rapidement disparue, victime de la nouvelle vague GTi et euthanasiée par son triste et morose tuteur, PSA…

 

 

Matra a toujours cultivé la différence. Depuis les premières Jet, héritées de René Bonnet, les productions de Romorantin ont conservées l’architecture à moteur central coiffée d’une carrosserie en polyester et fibre de verre, en écho aux voitures de compétition de la marque. Des carrosseries qui, sous un aspect volontairement novateur, n’ont pas toujours fait l’unanimité. Moteur central, habitacle 2+2, plus toit Targa, voilà une équation pas facile à résoudre pour la 530. Du coup, Philippe Guédon, grand maître des études, fait une croix sur la formule Targa, peu étanche, et le concept 2+2 qui ne satisfait personne. Pour la nouvelle Bagheera en 1973, il revient à une esthétique plus classique pour rallier un plus large public. Mais comme Matra ne fait rien comme tout le monde, le nouveau coupé, dorénavant doté d’un moteur Simca placé transversalement en position centrale, propose 3 places de front, parfaitement utilisables !

Matra, dernière édition !

 

 

Largement diffusée, la Bagheera cède la place, fin 1980, à la Murena, siglée Talbot-Matra. Double Cocorico ! D’accord, les derniers exploits de Talbot remontent au début des années 50, mais l’épopée Matra est encore dans toutes les mémoires. Ça sent le ricin et le Bleu de France, ça, Madame, ont du se dire les " énarques " de chez PSA ! PSA, qui, en 1978, a repris Chrysler-Europe, lui-même propriétaire de Simca depuis 1970. Lequel Simca possède la marque Talbot depuis 1958 et a passé des accords avec Matra au début des années 70. Vous avez suivi ? Alors oubliez tout en admirant la ligne de la Murena, dernier petit coupé sportif français avant… longtemps. Une ligne fluide tellement moderne qu’on ne la remarque pratiquement pas dans la circulation actuelle. D’ailleurs, beaucoup la prennent pour de ces coupés asiatiques, et pourtant derrière les paupières lisses de ses phares escamotables, ses yeux ne sont pas bridés. L’avant, particulièrement acéré, ajoute une note agressive avec son spoiler bien intégré, alors que le vaste pare-brise, très incliné, est presque en continuité avec le capot plongeant. La grande vitirne arrière et les vitres de custode éclairent la silhouette bien posée sur ses jantes alu et qui se passent fort bien de l’épais becquet rajouté sur les ultimes versions S. Seul bémol, les épais joints caoutchouc qui ceinturent l’avant annoncent une finition " Qualité France, millésimé 80 ". Impression confirmée par la palette d’ouverture de la portière, fond de tiroir Peugeot, qui manque de rester dans la main…

Oh, ce kitsch !

  

 

Allez, vous passerez bien au salon ? L’ouverture est large, et c’est si facile de se laisser tomber dans le canapé 3 places en velours d’ameublement, véritable incitation à la luxure, au ménage à trois… Du sol au plafond, on baigne dans le velours frappé, dans des nuances noir et blanc. C’est très douillet, très " mobilier contemporain ", et, détendu, jambes allongées, la nuque mollement appuyée sur le haut du siège, on cherche des yeux le feu de bois qui doit illuminer la cheminée… Hélas, si les sièges viennent de chez Roche-Bobois, c’est Prisunic qui a livré le tableau de bord ! Ou plutôt Peugeot : on reconnaît, ça et là, les tristes tirettes, boutons et compteurs de la gamme PSA incorporé dans un fatras de plastoc au style post-Goldorak d’un mauvais goût très sûr que l’on retrouve avec le velours dégoulinant des montants de pare-brise et serpentant sur la planche de bord, au-dessus de la boite à gants dépourvue de fermeture. Couronnant le tout, le ridicule volant à méplat, en plastique bizarrement cannelé, provient directement d’un simulateur de conduite de fête foraine… Jugement dur, pensez-vous ? Il est vrai qu’à la même époque, l’Alpine A310 n’était guère mieux lotie, mais cette finition franchouillarde au rabais, non seulement vieillit mal, m is n’a même pas l’excuse d’être agréable à l’œil.

La murène mord

 

Allez, la mise à feu, en tournant un Neiman de 604, ramène le calme. C’est vrai qu’il ronronne bien, ce 2,2 litres, débarassé des claquements de distribution du Simca 1600. Ce groupe provient de la Talbot Tagora, lui-même remontant à la Chrysler 180 qui… Bon, on ne va pas recommencer ! Toujours est-il qu’avec un arbre à cames en tête et 118ch, il fait détaler les 1000 kilos du coupé dès qu’on pousse la 1ere au-delà des 4700 tours. Les rapports s’enclenchent sans protester, avec une petite délicatesse pour le synchro de seconde, mais le levier reste, malgré tout, d’un toucher désagréable. A plus de 130 sur une étroite départementale, la confiance règne. D’accord, on est assis assez bas sur ce siège dont la mousse s’émousse et s’affaisse sous les fesses, mais ça permet de garder son chapeau. Stable comme un TGV, la Murena est stupéfiante de confort : les nids de poules, graviers, et inégalités du bas-côté sont absorbés, digérés, sans secousse, avec juste quelques remontées du train avant dans le volant au passage des plus grosses saignées. Vraiment étonnant. Le bourdonnement sourd du 4 cylindres, derrière la vitre qui sépare de la salle des machines, rappelle que l’on est pas à bord d’une brave berline bourgeoise. Surtout qu’une courbe serrée se profile rapidement. A moi, les freins ! Puissants, équilibrés, ils viennent secourir la boite dont la tringlerie compliqée ralentit un peu les rétrogradages. Un coup de volant, précis, et le Matra avale le virage, bien campée sur ses larges semelles. Trop lent ! On aurait pu passer avec 30 km/h de mieux ! C’est comme ça qu’on y prend goût, et qu’on en demande toujours plus. Allez, 5500 tours au tacquet, et à l’assaut ! Finalement, vous ne prendriez pas quelques chevaux de plus ? Si, car cette excellente tenue de route pardonne la plupart des erreurs et je verrais bien un 505 Turbo à la place du 2,2l, histoire de puiser dans l’héritage de la famille. D’ailleurs, certains s’y sont essayés, et le cocktail doit avoir un goût de revenez-y…

Symphonie inachevée

Sortie de virage piégeuse. Le sol est humide et les engins agricoles y ont laissés quelques vestiges bien glissants. Apparemment, la Murena n’apprécie pas et me le fait savoir en glissant de l’arrière, mais, pied dedans, contrebraquage, et en route pour de nouvelles aventures. La route, désormais mouillée, est déserte. Profitons-en. Chaque virage serrée est l’occasion de jouer avec le train arrière, bien survireur dans ces conditions. Avec davantage de chevaux, l’exercice serait encore plus amusant et moins risqué, mais, même en glissant à l’extrème limite du bord de la chaussée, la Matra garde une stabilité et un confort surprenants.

 

 

Un peu sous-motorisée même dans cette version 2.2, la Murena aurait méritée d’être développée. Plus puissante, avec ses 142 chevaux, l’ultime Murena S aurait pu être la Matra idéale, à condition de revoir les standards de finition. Mais Peugeot, qui s’apprêtait à lancer sa 205 GTi, avait d’autres lions à fouetter. Matra, de son côté, préparait la mise en orbite de l’Espace et quittait Peugeot pour chercher un nouveau partenaire. De plus, la secte des GTi faisant tous les jours de nouveaux adeptes, les années 80 voyaient la récession de tous les coupés qui n’étaient pas badgés à Stuttgart ou Maranello. Dans ces conditions, la carrière de la Murena, dernière Matra à porter le nom de la marque, s’achèvera prématurément à la fin de l’année 1983. Dommage…

 

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